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son Théâtre ; & nous peut mieux faire juger de ses vrais effets. Ayant à plaire au Public, il a consulte le goût le plus général de ceux qui le composent : sur ce goût il s’est forme un modele, & sur ce modele un tableau des défauts contraires, dans lequel il a pris ces caracteres comiques, & dont il a distribue les divers traits dans ses Pieces. Il n’a donc point prétendu former un honnête-homme, mais un homme du monde ; par conséquent, il n’a point voulu corriger les vices, mais les ridicules ; &, comme j’ai déjà dit, il a trouve, dans le vice même un instrument très-propre a y réussir. Ainsi voulant exposer à la risée publique tous les défauts opposes aux qualités de l’homme aimable, de l’homme de Société, après avoir joue tant d’autres ridicules, il lui restoit à jouer celui que le monde pardonne le moins, le ridicule de la vertu : ce qu’il a fait dans le Misanthrope.

Vous ne sauriez me nier deux choses : l’une, qu’Alceste dans cette Piece est un homme droit, sincere, estimable, un véritable homme de bien ; l’autre, que l’Auteur lui donne un personnage ridicule. C’en est assez, ce me semble, pour rendre Moliere inexcusable. On pourroit dire qu’il a joue dans Alceste, non la vertu, mais un véritable défaut, qui est la haine des hommes. À cela je réponds qu’il n’est pas vrai qu’il ait donne cette haine à son personnage : il ne faut pas que ce nom de Misanthrope en impose, comme si celui qui le porte étoit ennemi du genre-humain. Une pareille haine ne seroit pas un défaut, mais une dépravation de la Nature & le plus grand de tous les vices. Le vrai Misanthrope est un monstre. S’il pouvoit exister, il ne feroit pas