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Chrétiens… ainsi je me tais… C’est pourtant une singuliere conscience que celle qui fait dire à des Magistrats ; nous souffrons volontiers qu’on blasphême, mais nous ne souffrons pas qu’on raisonne ! Otons, Monsieur, la disparité des sujets ; c’est avec ces mêmes façons de penser que les Athéniens applaudissoient aux impiétés d’Aristophane, & firent mourir Socrate.

Une des choses qui me donnent le plus de confiance dans mes principes, c’est de trouver leur application toujours juste dans les cas que j’avois le moins prévus ; tel est celui qui se présente ici. Une des maximes qui découlent de l’analyse que j’ai faite de la Religion & de ce qui lui est essentiel, est que les hommes ne doivent se mêler de celle d’autrui qu’en ce qui les intéresse, d’où il suit qu’ils ne doivent jamais punir des offenses *

[* Notez que je me sers de ce mot offenser Dieu, selon l’usage, quoique je sois très-éloigné de l’admettre dans son sens propre, & que je le trouve très-mal appliqué ; comme si quelque être que ce soit, un homme, un Ange, le Diable même pouvoit jamais offenser Dieu. Le mot que nous rendons par offenses est traduit comme presque tout le reste du texte sacré ; c’est tout dire. Des hommes enfarinés de leur théologie ont rendu & défiguré ce Livre admirable selon leurs petites idées, & voilà de quoi l’on entretient la folie & le fanatisme du Peuple. Je trouve très sage la circonspection de l’Eglise Romaine sur les traductions de l’Ecriture en langue vulgaire ; & comme il n’est pas nécessaire de proposer toujours an Peuple les méditations voluptueuses du Cantique des Cantiques, ni les malédictions continuelles de David contre ses ennemis, ni les subtilités de St. Paul sur la grâce, il est dangereux de lui proposer la sublime morale de l’Evangile dans des termes qui ne rendent pas exactement le sens de l’Auteur ; car pour peu qu’on s’en écarte en prenant une autre route, on va très-loin. ] faites uniquement à Dieu, qui saura bien les punir lui-même. Il faut honorer la Divinité, & ne la venger