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entieres pour ce qui regarde la peine afflictive ; mais il a déjà reçu la peine infamante : il est déjà flétri & déshonoré, autant qu’il dépend de ses Juges : la seule chose qui leur reste à décider, c’est s’il sera brûlé ou non.

La distinction sur ce point, entre le Livre & l’Auteur, est inepte, puisqu’un Livre n’est pas punissable. Un Livre n’est en lui-même ni impie ni téméraire ; ces épithetes ne peuvent tomber que sur la doctrine qu’il contient, c’est-à-dire, sur l’Auteur de cette doctrine. Quand on brûle un Livre, que fait-là le Bourreau ? Déshonore-t-il les feuillets du Livre ? qui jamais ouit dire qu’un Livre eût de l’honneur ?

Voilà l’erreur ; en voici la source : un usage mal entendu.

On écrit beaucoup de Livres ; on en écrit peu avec un desir sincere d’aller au bien. De cent Ouvrages qui paroissent, soixante au moins ont pour objet & des motifs d’intérêt on d’ambition. Trente autres, dictés par l’esprit de parti, par la haine, vont, à la faveur de l’anonyme, porter dans le Public le poison de la calomnie & de la satire. Dix, petit-être, & c’est beaucoup, sont écrits dans de bonnes vues : on y dit la vérité qu’on sait, on y cherche le bien qu’on aime. Oui ; mais où est l’homme à qui l’on pardonne la vérité ? Il faut donc se cacher pour la dire. Pour être utile impunément, on lâche son Livre dans le Public, & l’on fait le plongeon.

De ces divers Livres, quelques-uns des mauvais & à-peu-près tous les bons sont dénoncés & proscrits dans les Tribunaux : la raison de cela se voit sans que je la dise. Ce n’est, au surplus, qu’une simple formalité, pour ne pas