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m’attendris en songeant combien, de leur simple retraite, Emile & Sophie peuvent répandre de bienfaits autour d’eux, combien ils peuvent vivifier la campagne & ranimer le zèle éteint de l’infortuné villageois. Je crois voir le peuple se multiplier, les champs se fertiliser, la terre prendre une nouvelle parure, la multitude & l’abondance transformer les travaux en fêtes, les cris de joie & les bénédictions s’élever du milieu des jeux rustiques autour du couple aimable qui les a ranimés. On traite l’âge d’or de chimère, et c’en sera toujours une pour quiconque a le cœur & le goût gâtés. Il n’est pas même vrai qu’on le regrette, puisque ces regrets sont toujours vains. Que faudroit-il donc pour le faire renaître ? une seule chose, mais impossible, ce seroit de l’aimer."

"Il semble déjà renaître autour de l’habitation de Sophie ; vous ne ferez qu’achever ensemble ce que ses dignes parents ont commencé. Mais, cher Emile, qu’une vie si douce ne te dégoûte pas des devoirs pénibles, si jamais ils te sont imposés : souviens-toi que les Romains passoient de la charrue au consulat. Si le prince ou l’Etat t’appelle au service de la patrie, quitte tout pour aller remplir, dans le poste qu’on t’assigne, l’honorable fonction de citoyen. Si cette fonction t’est onéreuse, il est un moyen honnête & sûr de t’en affranchir, c’est de la remplir avec assez d’intégrité pour qu’elle ne te soit pas longtemps laissée. Au reste, crains peu l’embarras d’une pareille charge ; tant qu’il y aura des hommes de ce siècle, ce n’est pas toi qu’on viendra chercher pour servir l’Etat."