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parce qu’il est dans les fers. Voilà donc, allez-vous dire, des besoins auxquels je l’ai soumis, des assujettissements que je lui ai donnés : & tout cela est vrai ; je l’ai assujetti à l’état d’homme.

Emile aime Sophie ; mais quels sont les premiers charmes qui l’ont attaché ? La sensibilité, la vertu, l’amour des choses honnêtes. En aimant cet amour dans sa maîtresse, l’auroit-il perdu pour lui-même ? À quel prix à son tour Sophie s’est-elle mise ? À celui de tous les sentiments qui sont naturels au cœur de son amant : l’estime des vrais biens, la frugalité, la simplicité, le généreux désintéressement, le mépris du faste & des richesses. Emile avoit ces vertus avant que l’amour les lui eût imposées. En quoi donc Emile est-il véritablement changé ? Il a de nouvelles raisons d’être lui-même ; c’est le seul point où il soit différent de ce qu’il était.

Je n’imagine pas qu’en lisant ce livre avec quelque attention, personne puisse croire que toutes les circonstances de la situation où il se trouve se soient ainsi rassemblées autour de lui par hasard. Est-ce par hasard que, les villes fournissant tant de filles aimables, celle qui lui plaît ne se trouve qu’au fond d’une retraite éloignée ? Est-ce par hasard qu’il la rencontre ? Est-ce par hasard qu’ils se conviennent ? Est-ce par hasard qu’ils ne peuvent loger dans le même lieu ? Est-ce par hasard qu’il ne trouve un asile que si loin d’elle ? Est-ce par hasard qu’il la voit si rarement, & qu’il est forcé d’acheter par tant de fatigues le plaisir de la voir quelquefois ? Il s’effémine, dites-vous. Il s’endurcit, au