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ma vie, quiconque a dit dans son cœur : il n’y a point de Dieu, & parle autrement, n’est qu’un menteur ou un insensé.

Lecteur, j’aurai beau faire, je sens bien que vous & moi ne verrons jamais mon Émile sous les mêmes traits ; vous. Vous le figurez toujours semblable à vos jeunes gens, toujours étourdi, pétulant, volage, errant de fête en fête, d’amusement en amusement, sans jamais pouvoir se fixer à rien. Vous rirez de me voir faire un contemplatif, un philosophe, un vrai théologien, d’un jeune homme ardent, vif, emporté, fougueux, dans l’âge le plus bouillant de la vie. Vous direz : Ce rêveur poursuit toujours sa chimère ; en nous donnant un élève de sa façon, il ne le forme pas seulement, il le crée, il le tire de son cerveau ; &, croyant toujours suivre la nature, il s’en écarte à chaque instant. Moi, comparant mon élève aux vôtres, je trouve a peine ce qu’ils peuvent avoir de commun. Nourri si différemment, c’est presque un miracle s’il leur ressemble en quelque chose. Comme il a passé son enfance dans toute la liberté’ils prennent dans leur jeunesse, il commence à prendre dans sa jeunesse la règle à laquelle on les a soumis enfants : cette règle devient leur fléau, ils la prennent en horreur, ils n’y voient que la longue tyrannie es maîtres, ils croient ne sortir de l’enfance qu’en secouant toute espèce de joug [1] ;

  1. Il n’y a personne qui voie l’enfance avec tant de mépris que ceux qui en sortent, comme il n’y a pas de pays où les rangs soient gardés avec plus d’affectation que ceux où l’inégalité n’est pas grande, & où chacun craint toujours d’être confondu avec son inférieur.