Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/575

Cette page n’a pas encore été corrigée

& grandeur des écrivains modernes, que vous êtes sublimes, & qu’ils sont intrépides la plume à la main. Mais dites-moi, brave, & vaillant héros, qui vous sauvez si courageusement d’un combat pour supporter plus long-tems la peine de vivre, quand un tison brûlant vient à tomber sur cette éloquente main, pourquoi la retirez-vous si vite ? Quoi ! vous avez la lâcheté de n’oser soutenir l’ardeur du feu ! Rien, dites-vous, ne m’oblige à supporter le tison ; & moi, qui m’oblige à supporter la vie ? La génération d’un homme a-t-elle coûté plus à la Providence que celle d’un fétu, & l’une, & l’autre n’est-elle pas également son ouvrage ?

Sans doute il y a du courage à souffrir avec constance les maux qu’on ne peut éviter ; mais il n’y a qu’un insensé qui souffre volontairement ceux dont il peut s’exempter sans mal faire, & c’est souvent un tres grand mal d’endurer un mal sans nécessité. Celui qui ne sait pas se délivrer d’une vie douloureuse par une prompte mort, ressemble à celui qui aime mieux laisser envenimer une plaie que de la livrer au fer salutaire d’un chirurgien. Viens, respectable Parisot [1], coupe-moi cette jambe qui me feroit périr : je te verrai faire sans sourciller, & me laisserai traiter de lâche par le brave qui voit tomber la sienne en pourriture faute d’oser soutenir la même opération.

J’avoue qu’il est des devoirs envers autrui qui ne permettent pas à tout homme de disposer de lui-même ; mais en

  1. Chirurgien de Lyon, homme d’honneur, bon citoyen, ami tendre, & généreux, négligé, mais non pas oublié de tel qui fut honoré de ses bienfaits.