Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/539

Cette page n’a pas encore été corrigée

besoin pour résister à mon propre cœur, & que Je ne pouvois trouver en moi-même. Je tirai de cette seule découverte une confiance nouvelle, & je déplorai le triste aveuglement qui me l’avoit fait manquer si longtemps. Je n’avois jamais été tout à fait sans religion ; mais peut-être vaudroit-il mieux n’en point avoir du tout que d’en avoir une extérieure, & maniérée, qui sans toucher le cœur rassure la conscience ; de se borner à des formules, & de croire exactement en Dieu à certaines heures pour n’y plus penser le reste du temps. Scrupuleusement attachée au culte public, je n’en savois rien tirer pour la pratique de ma vie. Je me sentois bien née, & me livrois à mes penchants ; j’aimois à réfléchir, & me fiois à ma raison ; ne pouvant accorder l’esprit de l’Evangile avec celui du monde, ni la foi avec les œuvres, j’avois pris un milieu qui contentoit ma vaine sagesse ; j’avois des maximes pour croire, & d’autres pour agir ; j’oubliois dans un lieu ce que j’avois pensé dans l’autre ; j’étois dévote à l’église, & philosophe au logis. Hélas ! je n’étois rien nulle part ; mes prieres n’étoient que des mots, mes raisonnemens des sophismes, & je suivois pour toute lumiere la fausse lueur des feux errans qui me guidoient pour me perdre.

Je ne puis vous dire combien ce principe intérieur qui m’avoit manqué jusqu’ici m’a donné de mépris pour ceux qui m’ont si mal conduite. Quelle étoit, je vous prie, leur raison premiere, & sur quelle base étoient-ils fondés ? Un heureux instinct me porte au bien : une violente passion s’éleve ; elle a sa racine dans le même instinct ; que ferai-je pour la détruire ? De la considération de l’ordre je tire la beauté de