Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/466

Cette page n’a pas encore été corrigée

si long-tems aux soupçons de ma tante, lui fut dévoilé par vos lettres. Quelque sensible que soit un tel coup à cette mere tendre, & vertueuse, moins irritée contre vous que contre elle-même, elle ne s’en prend qu’à son aveugle négligence ; elle déplore sa fatale illusion ; sa plus cruelle peine est d’avoir pu trop estimer sa fille, & sa douleur est pour Julie un châtiment cent fois pire que ses reproches.

L’accablement de cette pauvre cousine ne sauroit s’imaginer. Il faut le voir pour le comprendre. Son cœur semble étouffé par l’affliction, & l’exces des sentimens qui l’oppressent lui donne un air de stupidité plus effrayante que des cris aigus. Elle se tient jour & nuit à genoux au chevet de sa mere, l’air morne, l’œil fixé à terre, gardant un profond silence, la servant avec plus d’attention & de vivacité que jamais ; puis retombant à l’instant dans un état d’anéantissement qui la feroit prendre pour une autre personne. Il est tres-clair que c’est la maladie de la mere qui soutient les forces de la fille, & si l’ardeur de la servir n’animoit son zele, ses yeux éteints, sa pâleur, son extrême abattement me feroient craindre qu’elle n’eût grand besoin pour elle-même de tous les soins qu’elle lui rend. Ma tante s’en apperçoit aussi, & je vois à l’inquiétude avec laquelle elle me recommande en particulier la santé de sa fille combien le cœur combat de part & d’autre contre la gêne qu’elles s’imposent, & combien on doit vous hair de troubler une union si charmante.

Cette contrainte augmente encore par le soin de la dérober aux yeux d’un pere emporté auquel une mere tremblante pour les jours de sa fille veut cacher ce dangereux secret. On se