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utile, à tâcher de me rendre un homme amusant. Je m’exerce, autant qu’il est possible, à devenir poli sans fausseté, complaisant sans bassesse & à prendre si bien ce qu’il y a de bon dans la société, que j’y puisse être souffert sans en adopter les vices. Tout homme oisif qui eut voir le monde doit au moins en prendre les manieres jusqu’à certain point ; car de quel droit exigeroit-on d’être admis parmi des gens à qui l’on n’est bon à rien & à qui l’on n’auroit pas l’art de plaire ? Mais aussi, quand il a trouvé cet art, on ne lui en demande pas davantage, surtout s’il est étranger. Il peut se dispenser de prendre part aux cabales, aux intrigues, aux démêlés ; s’il se comporte honnêtement envers chacun, s’il ne donne à certaines femmes ni exclusion ni préférence, s’il garde le secret de chaque société où il est reçu, s’il n’étale point les ridicules d’une maison dans une autre, s’il évite les confidences, s’il se refuse aux tracasseries, s’il garde partout une certaine dignité, il pourra voir paisiblement le monde, conserver ses mœurs, sa probité, sa franchise même, pourvu qu’elle vienne d’un esprit de liberté & non d’un esprit de parti. Voilà ce que j’ai tâché de faire par l’avis de quelque gens éclairés que j’ai choisis pour guides parmi les connoissances que m’a données Milord Edouard. J’ai donc commencé d’être admis dans des sociétés moins nombreuses & plus choisies. Je ne m’étois trouvé, jusqu’à présent, qu’à des dîners réglés, où l’on ne voit de femme que la maîtresse de la maison ; où tous les désœuvrés de Paris sont reçus pour peu qu’on les connoisse ; où chacun paye comme il peut son dîner en esprit ou en flatterie & dont le ton bruyant & confus