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qu’il en jugeoit avec plus de sentiment que de science, & par les effets plus que par les regles, ce qui me confirma qu’il avoit l’ame sensible. Pour la musique italienne, il m’en parut enthousiaste comme à toi ; il m’en fit même entendre, car il mene un virtuose avec lui, son valet-de-chambre joue fort bien du violon, & lui-même passablement du violoncelle. Il me choisit plusieurs morceaux très-pathétiques à ce qu’il prétendoit ; mais soit qu’un accent si nouveau pour moi demandât une oreille plus exercée ; soit que le charme de la musique, si doux dans la mélancolie, s’efface dans une profonde tristesse, ces morceaux me firent peu de plaisir, & j’en trouvai le chant agréable, à la vérité, mais bizarre & sans expression.

Il fut aussi question de moi, & Milord s’informa avec intérêt de ma situation. Je lui en dis tout ce qu’il en devoit savoir. Il me proposa un voyage en Angleterre avec des projets de fortune impossibles, dans un pays où Julie n’étoit pas. Il me dit qu’il alloit passer l’hiver à Geneve, l’été suivant à Lausanne, & qu’il viendroit à Vevai avant de retourner en Italie : il m’a tenu parole, & nous nous sommes revus avec un nouveau plaisir.

Quant à son caractere, je le crois vif & emporté, mais vertueux & ferme. Il se pique de philosophie, & de ces principes dont nous avons autrefois parlé. Mais au fond, je le crois par tempérament ce qu’il pense être par méthode, & le vernis stoique qu’il met à ses actions ne consiste qu’à parer de beaux raisonnemens le parti que son cœur lui a fait prendre. J’ai cependant appris avec un peu de peine