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rien de si mauvais que ce qu’ils produisent d’eux-mêmes. Je vous recommande tout le contraire, à vous qui mettez dans vos lectures mieux que ce que vous y trouvez, & dont l’esprit actif fait sur le livre un autre livre, quelquefois meilleur que le premier. Nous nous communiquerons donc nos idées ; je vous dirai ce que les autres auront pensé, vous me direz sur le même sujet ce que vous pensez vous-même, & souvent après la leçon j’en sortirai plus instruit que vous.

Moins vous aurez de lecture à faire, mieux il faudra la choisir, & voici les raisons de mon choix. La grande erreur de ceux qui étudient est, comme je viens de vous dire, de se fier trop à leurs livres & de ne pas tirer assez de leur fonds, sans songer que de tous les Sophistes, notre propre raison est presque toujours celui qui nous abuse le moins. Sitôt qu’on veut rentrer en soi-même, chacun sent ce qui est bien, chacun discerne ce qui est beau ; nous n’avons pas besoin qu’on nous apprenne à connoître ni l’un ni l’autre, & l’on ne s’en impose là-dessus qu’autant qu’on s’en veut imposer. Mais les exemples du très-bon & du très-beau sont plus rares & moins connus, il les faut aller chercher loin de nous. La vanité, mesurant les forces de la nature sur notre foiblesse, nous fait regarder comme chimériques les qualités que nous ne sentons pas en nous-mêmes ; la paresse & le vice s’appuyent sur cette prétendue impossibilité, & ce qu’on ne voit pas tous les jours, l’homme foible prétend qu’on ne le voit jamais. C’est cette erreur qu’il faut détruire. Ce sont ces grands objets qu’il faut s’accoutumer à sentir & à voir, afin de s’ôter tout prétexte de ne les pas imiter.