Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/405

Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’il se plaignoit des fatigues de la Cour, en homme que ses pertes avoient découragé ; j’osai lui parler de retraite, & lui donner le conseil que Cynéas donnoit à Pyrrhus ; il soupira, & ne répondit pas décisivement. Mais au premier moment où Mde. de Luxembourg me vit en particulier, elle me relança vivement sur ce conseil qui me parut l’avoir alarmée. Elle ajouta une chose dont je sentis la justesse, & qui me fit renoncer à retoucher jamais la même corde : c’est que la longue habitude de vivre à la Cour devenoit un vrai besoin, que c’étoit même en ce moment une dissipation pour M. de Luxembourg, & que la retraite que je lui conseillois seroit moins un repos pour lui qu’un exil, où l’oisiveté, l’ennui, la tristesse achèveroient bientôt de le consumer. Quoiqu’elle dût voir qu’elle m’avoit persuadé, quoiqu’elle dût compter sur la promesse que je lui fis & que je lui tins, elle ne parut jamais bien tranquillisée à cet égard, & je me suis rappelé que depuis lors mes tête-à-têtes avec M. le Maréchal avoient été plus rares & presque toujours interrompus.

Tandis que ma balourdise & mon guignon me nuisoient ainsi de concert auprès d’elle, les gens qu’elle voyoit & qu’elle aimoit le plus ne m’y servoient pas. L’abbé de B.......s sur-tout, jeune homme aussi brillant qu’il soit possible de l’être, ne me parut jamais bien disposé pour moi ; & non-seulement il est le seul de la société de Mde. la Maréchale, qui ne m’oit jamais marqué la moindre attention, mais j’ai cru m’appercevoir qu’à tous les voyages qu’il fit à Montmorenci, je perdois quelque chose auprès d’elle,