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Je me plais comme vous voyez, Monsieur, à réunir tout ce qui j’ai pu apprendre de particulier sur le caractere de Rousseau, & j’ai de la satisfaction à me retracer à moi-même tous ses traits, en les consignant dans cet écrit.

Quelques personnes qui ont eu des liaisons avec lui, assurent qu’il a été plein d’amabilité dans l’âge où cette qualité éclate davantage. Ce point est peu important ; mais ce qu’on voit clairement par ses écrits, c’est qu’il a été quelque chose de plus qu’un homme aimable, selon notre frivole acception, puisqu’il étoit né pour être invinciblement aimé : avec cela il est impossible de ne plaire pas. Il est une certaine chaleur de sentiment qui produit sur les ames, ce que le soleil, qui échauffe tout ce qu’il éclaire, opere sur le matériel de la nature. De tous les Auteurs connus, Rousseau est sans contredit celui qui a été le plus doué de cette chaleur communicative qui s’empare du lecteur, & qui fait qu’on aime avec tant d’intérêt la personne de l’Auteur, & qu’elle paroît à tous les yeux aussi digne d’amour que de gloire.

On assure encore que Rousseau, fort méditatif par caractere, le devint ensuite de plus en plus par habitude. Les hommes de cet ordre l’ont toujours été. C’est même là un des signes par lesquels les têtes pensantes, se manifestent aux yeux de ceux qui savent juger de la nature de ce genre de taciturnité.

C’est uniquement dans la solitude que se forment les fortes impressions, & c’est de l’ame que naissent les grandes pensées : mot admirable du Duc de la Rochefoucaut, qui s’applique si bien à Rousseau, défini tout entier par cette seule & belle