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ta de cœurs, & qu’il s’en est trouvé qui ont conçu pour l’Auteur, sans que sa personne leur fût connue, un amour réel ; dernier délire de cette sorte de passion, & dont Rousseau, non sans doute sans intention, nous a donné lui-même l’idée si enivrante dans Emile, où Sophie idolâtre un être fantastique, pur orage de son imagination.

En même tems quel caractere que celui de Wolmar que l’Auteur a osé introduire dans son plan ! Ce caractere fait, à mon sens, une des plus grandes beautés de l’ouvrage, & peut être regardé comme un des traits de génie les plus hardis que l’esprit humain ait employés. On a dit souvent que ce caractere étoit hors de la nature. Ce reproche est bon à faire devant des ames vulgaires ; mais il n’est nullement fondé ici. En effet, il est dans le cœur de l’homme un espace où les yeux ordinaires ne pénetrent jamais. Tous les personnages de ce roman sont, par l’élévation des sentimens, hors de l’ordre commun, celui de Wolmar est également de cette espece. Non- seulement ce caractere est vraisemblable ; mais on peut dire encore qu’il est vrai, ou du moins on sent sans effort qu’il a pu être réel.

C’est à ces ames peu ordinaires que je viens de désigner, à comprendre ce que je vais dire. Aux yeux d’un homme comme Wolmar (& cet être n’est ni dépravé, ni déraisonnable) une femme telle qu’Héloise pouvoit être choisie presqu’à l’égal de l’innocence même. D’abord elle est si riche de sa beauté & de toutes ses perfections, qu’une tache unique & si bien effacée peut en altérer beaucoup moins l’éclat. De plus, une vertu ainsi éprouvée, si elle n’est pas également intacte, n’est peut