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M. de la Bruyere prétend qu’il y a des hommes qui ont deux ames, il cite Santeuil & le grand Corneille, & vous le grand, l’illustre & le très-petit Voltaire ; vous faites un parallele des petitesses de ce Poëte applaudi avec ses belles actions. Vous êtes étonné de ce qu’un homme qui prêche avec tant d’éloquence les sentimens délicats, cherche à se venger lâchement contre un pauvre Musicien ; & qu’après avoir donné des preuves d’une animosité implacable contre le phénix des Poëtes lyriques & du grand Rousseau, que ce même Ecrivain s’arme généreusement pour la défense des Calas & des Sirven ; mais vous ne dites pas que, tandis que sa plume combattoit si vaillamment pour défendre l’innocence injustement flétrie, déshonorée & tyrannisée, il s’en servoit en même-tems pour outrager un homme que cet Auteur avoit ruiné. Jore, ce fameux Libraire de Rouen, poursuivi par l’infortune, se trouvoit, il y a quatre ans, à Amsterdam. Voltaire l’apprend & lui écrit à peu près dans ces termes :

“En considération de, l’état misérable où vous êtes, je vous enverrai douze louis d’or, aux conditions que vous m’enverrez une rétractation en forme & signée de votre main de tout ce qui se trouve à ma charge contre vous dans le factum insolent que l’Abbé Désfontaines a écrit, lorsqu’il mit sous les yeux du public vos griefs contre moi.” Quoi ! offrir douze louis d’or à un homme dont on a été la cause de sa ruine ? un homme qui l’avoit nourri & logé gratis pendant six mois, en lui prodigant le titre de Mylord, que l’Auteur avoit exigé pour se dérober à ceux qui auroient voulu voir la piece curieuse dans la personne du Virgile François !