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l’ingrat qu’il a obligé, mais loin d’en faire parade ou de les lui reprocher, il doit observer un éternel silence à cet égard. J’ai déjà mis au jour les motifs qui pouvoient avoir engagé M. Hume à protéger l’illustre Genevois, & vous n’avez pas tout-à-fait bien rencontré en insinuant que cet Anglois avoit pris de l’ombrage en fixant avec trop de jalousie la réputation & les talens de Rousseau ; s’ils n’eussent pas été attaqués avec quelque différence de la même maladie, c’étoient deux astres qui, par les rayons éloignés de leur globe, auroient pu s’éclairer réciproquement, pour ensuite communiquer au genre humain les lumieres les plus intéressantes. C’est à quoi tout Ecrivain doit aspirer : c’est même dans cette idée que je vais encore donner un coup de pinceau aux devoirs de la bienfaisance.

Offrir des secours à un illustre malheureux sans le connoître autrement que par son mérite, lui procurer un asyle plein d’agrément, voilà qui est digne d’une belle ame, & qui honore infiniment celui qui se plaît à couronner ce chef-d’œuvre du sentiment, par un oubli volontaire de ses services généreux ; mais si, non content de reprocher en public à l’obligé les dons qu’il lui a faits, il étale encore par ostentation ceux auxquels il n’a eu qu’une part indirecte, je soutiens qu’il s’est payé par lui-même d’une reconnoissance qu’il ne méritoit pas ; mais que d’un autre côté l’obligé se cabre, s’irrite, se désole & crie à la trahison, à cause que son nouveau bienfaiteur veut avoir son portrait en grand, à cause qu’il sollicite sans un plein pouvoir une pension pour lui, à cause que le hasard introduit dans la maison qu’ils habitent, des gens que Rousseau