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conclus à ce que le public équitable, oblige M. le philosophe Anglois à faire au philosophe Genevois, une réparation complete en y joignant tous les frais, dommages & intérêts. J’ai dit plus haut qu’une violente frayeur peut considérablement contribuer à l’altération de l’esprit. Qu’on se rappelle ce terrible décret de prise de corps, qui, comme un coup de foudre, vint frapper l’esprit du Genevois, lorsque son Emile fut lacéré : frayeur, saisissement, consternation, amour-propre blessé à mort vinrent tour-à-tour jetter le trouble dans son ame ; son cœur agité par différentes passions, palpite, s’évanouit & se resserre. Le public en avoit ouï le coup, mais pouvoit-il en ressentir les effets ? J. J. Rousseau seul les sentoit bien mieux que les soufflets en l’air qu’il envoyoit à son patron par la poste : cette époque seule suffiroit pour ébranler le plus ferme Stoïcien. À peine cet orage a cessé, que J. J. Rousseau en essuie encore un plus funeste à Geneve : les journaux & les papiers publics l’annoncent, mais les Lecteurs n’en éprouvoient pas les suites douloureuses. Le bon J. J. Rousseau étoit le seul que les carreaux de Jupiter avoient frappé. Le saint homme Job ne se trouva jamais dans une situation aussi accablante, & l’on sait que dans l’excès de ses plaintes & de ses transports, sa colere le plongeoit en quelque sorte jusques dans les bras du délire.

Tous ces revers inopinés & les plus affligeantes tribulations, disent certains raisonneurs opulens & heureux, ne sauroient ébranler le grand homme. Le Philosophe doit y être préparé quand elles arrivent, il fait ceci, ou il doit faire cela ; ah ! que j’en ai connus de ces brillans moralistes qui ne parloient ainsi que parce qu’eux-mêmes n’avoient jamais eu que de très-foibles