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les dons gratuits dont l’opulence se dépouille en saveur d’un homme infortuné. Ah ! si les Crésus de nos jours pensoient quelquefois à leur fin derniere & remontoient de tans à autre jusqu’à la source d’où leur en venu tant de richesses, ils seroient bien moins durs envers les indigens : ils se condamneroient eux-mêmes à une restitution volontaire envers ceux que la fortune persécute. Combien en est-il, Mrs. les riches, qui ne sont indigens que par les injustices & les concussions de vos aïeux. Ils n’existent plus, me direz-vous ; cela en vrai, mais les malheureux qu’ils ont faits ont engendré des fils, qui ne sont devenus des objets de pitié, que parce que vos ancêtres avoient eu l’adresse de s’enrichir aux dépens des leurs. Mais cet Etranger qui vient des antipodes peut-il avoir de pareilles prétentions ? Qu’en savez-vous ? peut-être son pere ne fit le trajet de l’Amérique, que parce que son bien étoit injustement passé entre les mains de celui qui a terré en votre faveur. Vous & lui l’ignorez ; toutefois vous lui devez une portion de votre superflu, en considération de ce que ceux qui pourroient avoir une prétention légitime sur une part de votre héritage, ignorent à qui ils pourroient s’adresser pour la réclamer.

Je ne prétends pas établir par ce systême des restitutions illégales, l’idée d’un pareil projet n’appartenoit qu’a l’Abbé de St. Pierre. Je pense qu’il convient mieux de laisser subsister les chaînes de la société telles qu’elles se trouvent actuellement forgées : mais je crois qu’il convient à tout écrivain qui aime l’humanité, d’engager les hommes à réfléchir sur les devoirs qui se présentent rarement devant leurs yeux, surtout au milieu des délices d’une heureuse prospérité.