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pour lequel il avoit fait paroître la plus sorte considération.

Voilà en miniature, le tableau de la conduite du sieur Ried à l’endroit de l’Etranger qu’il avoit si noblement & si généreusement accueilli.

À peine le troisieme mois fut-il arrivé, que Ried ne témoignoit plus avoir pour celui a qui il avoit prodigué le beau titre d’ami que de l’indifférence, pour ne pas dire du mépris. Il ne l’écoutoit plus comme un homme instruit par l’étude & par l’expérience. Ce n’étoit plus l’oracle qui, dans les premieres journées de leur connoissance, paroissoit captiver l’attention des auditeurs, & à qui même Ried prodiguoit des louanges & de l’encens. Ce n’étoit plus un homme doué de pénétration & de discernement, c’étoit seulement un beau rêveur, un causeur impitoyable, qui ne produisoit dans la conversation que des choses puisées dans son cerveau, & cela, parce que Ried ne les avoit pas trouvées dans sa bibliotheque. Enfin l’instant où l’Irlandois devoit ou vouloit étouffer dans le cœur de cet Etranger tous les sentimens de reconnoissance dont il étoit pénétré, arriva. On avoir agité une question intéressant, & à laquelle Ried n’avoir pas répondu en homme tout-à-fait bien instruit du fait dont il s’agissoit ; l’Étranger mieux informé, voulut l’éclaircir en rapprochant les circonstances & les démonstrations nécessaires à cet effet ; mais Reid, pour ce moment-là, plus opiniâtre que savant, s’efforça à contredire ce que l’autre venoit d’avancer, s’oublia même jusqu’au point de faire succéder aux railleries piquantes, certaines expressions outrageantes dont on ne se sert jamais que pour étaler l’impériosité, l’orgueil & le mépris.