Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t14.djvu/46

Cette page n’a pas encore été corrigée

où son nom même n’est jamais prononcé, où l’orgueilleuse Philosophie dont on s’y pique consiste en quelques maximes stériles, débitées d’un ton de hauteur, & dont la pratique rendroit criminel ou ridicule quiconque oseroit la tenter : mais il commença à se familiariser avec ce monde si nouveau pour ses pareils, si ignoré, si dédaigné de l’autre, où les membres de Jésus-Christ souffrans attirent l’indignation céleste sur les heureux du siecle, où la religion, la probité, trop négligées, sans doute, sont du moins encore en honneur, & où il est encore permis d’être homme de bien sans craindre la raillerie & la haine de ses égaux.

Telle fut la nouvelle société qu’il rassembla autour de lui pour répandre sur elle comme une rosée bienfaisante les trésors de sa charité. Chaque jour il donnoit dans sa retraite une audience & des soulagemens à tous les malheureux indifféremment, réservant pour le Palais-Royal des audiences plus solemnelles où le rang & la naissance reprenoient leurs droits ; où la noblesse retrouvoit un Protecteur & un grand Prince dans celui que les pauvres venoient d’appeller leur pere. Ce fut la tendresse même de ton ame qui le força d’accoutumer ses yeux à l’affligeant spectacle des miseres humaines. Il ne craignoit point de voir les maux qu’il pouvoir soulager, & n’avoit point cette répugnance criminelle qui ne vient que d’un mauvais cœur, ni cette pitié barbare dont plusieurs osent se vanter, qui n’est qu’une cruauté déguisée & un prétexte odieux pour s’éloigner de ceux qui souffrent ; & comment se peut-il, mon Dieu ! que ceux qui n’ont pas le courage d’envisager les plaies d’un pauvre, ayent celui de refuser l’aumône au malheureux qui en est couvert ?