Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t14.djvu/38

Cette page n’a pas encore été corrigée

terrestres & pour s’élever par la contemplation jusqu’au séjour des Bienheureux, nous nous acquitterions sans douleur & sans larmes du triste devoir qui nous assemble, nous nous dirions à nous-mêmes dans une sainte joie : celui qui a tout fait pour le ciel est en possession de la récompense qui lui étoit due ; & la mort du grand Prince que nous pleurons, ne seroit à nos yeux que le triomphe du juste.

Mais, foibles Chrétiens encore attachés à la terre que nous sommes loin de ce degré de perfection nécessaire pour juger sans passion des choses véritablement desirables ! Et comment oserions-nous décider de ce qui peut être avantageux aux autres, nous qui ne savons pas seulement ce qui nous est bon à nous-mêmes ? Comment pourrions-nous nous réjouir avec les Saints d’un bonheur dont nous sentons si peu je prix ? Ne cherchons point à étouffer notre juste douleur. À Dieu ne plaise qu’une coupable insensibilité nous donne une confiance que nous ne devons tenir que de la religion. La France vient de perdre le premier Prince du Sang de ses Rois, les pauvres ont perdu leur pere, les savans leur protecteur, tous les Chrétiens leur modele : notre perte est assez grande pour nous avoir acquis le droit de pleurer, au moins sur nous-mêmes.. Mais pleurons avec modération, & comme il convient à des Chrétiens : ne songeons pas tellement à nos pertes que nous oublions le prix inestimable qu’elles ont acquis au grand Prince que nous regrettons. Bénissons le saint nom de Dieu & des dons qu’il nous a faits, & de peux qu’il nous a repris. Si le tableau que je dois exposer à vos yeux, vous offre de justes sujets de douleur dans la mort de Très-Haut,