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loin de détruire sa timidité ne sera surement que l’enraciner davantage, tant qu’il n’osera point envisager une assemblée ni répondre à ceux qui lui adressent la parole. Pour prévenir cet inconvénient, je crois, Monsieur, qu’il seroit bien de le tenir quelquefois éloigné de vous, soit à table soit ailleurs, & de le livrer aux étrangers pour l’accoutumer de se familiariser avec eux.

On concluroit très-mal si de tout ce que je viens de dire, on concluroit que me voulant débarrasser de la peine d’enseigner, ou peut-être, par mauvais goût méprisant les sciences, je n’ai nul dessein d’y former M. votre fils, & qu’après lut avoir enseigné les élémens indispensables, je m’en tiendrai là, sans me mettre en peine de le pousser dans les études convenables. Ce n’est pas ceux qui me connoîtront qui raisonneroient ainsi ; on sait mon goût déclaré pour les sciences, & je les ai assez cultivées pour avoir dû y faire des progrès pour peu que j’eusse en de disposition.

On a beau parler au désavantage des études & tâcher d’en anéantir la nécessité, & d’en grossir les mauvais effets, il sera toujours beau & utile de savoir ; & quant au pédantisme, ce n’est pas l’étude même qui le donne, mais la mauvaise disposition du sujet. Les vrais savans sont polis & ils sont modestes, parce que la connoissance de ce qui leur manque, les empêche de tirer vanité de ce qu’ils ont, & il n’y a que les petits génies & les demi-savans qui croyant de savoir tout, méprisent orgueilleusement ce qu’ils ne connoissent point. D’ailleurs, le goût des lettres est d’une grande ressource dans la vie, même pour un homme d’épée. Il est bien gracieux de