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une substance passive qui reçoit les impressions, & une puissance active qui examine ces impressions, voit leurs rapports, les combine, & juge. Appercevoir les objets, c’est sentir ; appercevoir les rapports, c’est juger.

J’aurois à me reprocher un manque d’équité entre les deux antagonistes que je fais entrer en lice, si. je ne publiois la réponse que M. Helvétius me fit lorsque je lui envoyai cette objection, accompagnée de deux ou trois autres ; on verra*

[*Voyez la lettre de M. Helvétius, No. 2. à la fin.] que non-seulement il ne bannit point de l’esprit les doutes que Rousseau y introduit, mais qu’il appréhende lui-même le peu d’effet de sa lettre, puisqu’il en annonce une autre sur le même sujet, qu’il eût écrite sans doute s’il eût vécu. Mais continuons à le suivre dans les preuves qu’il allègue pour justifier sa conclusion.

“La question renfermée dans ces bornes, continue l’auteur de l’Esprit, j’examinerai maintenant si juger n’est pas sentir. Quand je juge de la grandeur ou de la couleur des objets qu’on me présente, il est évident que le jugement porté sur les différentes impressions que ces objets ont faites sur mes sens, n’est proprement qu’une sensation ; que je puis dire également, je juge ou je sens que, de deux objets, l’un, que j’appelle toise, fait sur moi une impression différente de celui que j’appelle pied ; que la couleur que je nomme rouge, agit sur mes yeux différemment de celle que je nomme jaune ; & j’en conclus qu’en pareil cas juger n’est jamais que sentir.” Il y a ici un sophisme très-subtil & très-important à bien remarquer, reprend Rousseau, autre chose est sentir une différence entre une toise & un pied, &