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Avant que sa bonté, du sein de la misere,
Aux plus tristes besoin eût daigné me soustraire,
J’étois un vil enfant du sort abandonné,
Peut-être dans la fange à périr destiné.
Orgueilleux avorton, dont la fierté burlesque
Mêloit comiquement l’enfance au romanesque,
Aux bons faisoit pitié, faisoit rire les sous,
Et des sots quelquefois excitoit le courroux.
Mais les hommes ne sont que ce qu’on les fait être,
A peine à les regards j’avois osé paroître
Que de ma bienfaitrice apprenant mes erreurs,
Je sentis le besoin de corriger mes mœurs.
J’abjurai pour toujours ces maximes féroces,
Du préjugé natal fruits amers & précoces,
Qui dès les jeunes ans, par leurs âcres levains,
Nourrissent la fierté des cœurs républicains :
J’appris à respecter une noblesse illustre,
Qui même à la vertu fait ajouter du lustre.
Il ne seroit pas bon dans la société
Qu’il sût entre les rangs moins d’inégalité.
Irai-je faire ici, dans ma vaine marotte,
Le grand déclamateur, le nouveau Don Quichotte,
Le destin sur la terre a réglé les États,
Et pour moi surement ne les changera pas.
Ainsi de ma raison si long-tems languissant
Je me formai dès-lors une raison naissante,
Par les soins d’une mere incessamment conduit,
Bientôt de ses bontés je recueillis le fruit,