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dans Britannicus, dans Bajazet même, & dans Andromaque, si on en excepte quelques traits des rôles de Roxane & d’Hermione ? Phedre est peut-être le seul ouvrage de ce grand homme, où l’amour soit vraiment terrible & tragique ; encore y est-il défiguré par l’intrigue obscure d’Hippolite &d’Aricie. Arnaud l’avoit bien senti, quand il disoit à Racine : pourquoi cet Hippolite amoureux ? Le reproche étoit moins d’un casuiste que d’un homme de goût ; on sait la réponse que Racine lui fit : eh, Monsieur, sans cela qu’auroient dit les petits-maîtres ? Ainsi c’est à la frivolité de la nation que Raine a sacrifié la perfection de sa piece. L’amour dans Corneille est encore plus languissant & plus déplacé : son génie semble s’être épuisé dans le Cid à peindre cette passion, & il n’y a presqu’aucune de ses autres tragédies que l’amour ne dépare & ne refroidisse. Ce sentiment exclusif & impérieux, si propre à nous consoler de tout, ou à nous rendre tout insupportable, à nous faire jouir de notre existence, ou à nous la faire détester, veut être sur le théâtre comme dans nos cœurs, y régner seul & sans partage. Par-tout où il ne joue pas le premier rôle, il est dégradé par le second. Le seul caractere qui lui convienne dans la tragédie, est celui de la véhémence, du trouble & du désespoir :ôtez-lui ces qualités, ce n’est plus, si j’ose parler ainsi,qu’une passion commune &bourgeoise. Mais, dira-t-on, en peignant l’amour de la sorte, il deviendra monotone, &toutes nos pieces se ressembleront. Et pourquoi s’imaginer, comme ont fait presque tous nos Auteurs, qu’une piece ne puisse nous intéresser sans, amour ? Sommes-nous plus difficiles ou plus insensibles que