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au sein de l’amitié, de la patrie, de la nature & de l’amour. Mais il y a long-tems, vous le savez, que le siecle d’Astrée n’existe plus que dans les fables, si même il a jamais existé ailleurs. Solon disoit qu’il avoir donne aux Athéniens, non les meilleures loix en elles-mêmes, mais les meilleures qu’ils pussent observer. Il en est ainsi des devoirs qu’une saine philosophie prescrit aux hommes & des plaisirs qu’elle leur permet. Elle doit nous supposer & nous prendre tels que nous sommes, pleins de passions & de foiblesses, mécontens de nous-mêmes & des autres, réunissant à un penchant naturel pour l’oisiveté, l’inquiétude & l’activité dans les desirs. Que reste-t-il à faire à la Philosophie, que de pallier à nos yeux par les distractions qu’elle nous offre, l’agitation qui nous tourmente, ou la langueur qui nous consume ? Peu de personnes ont, comme vous, Monsieur, la forcé de chercher leur bonheur dans la triste &uniforme tranquillité de la solitude. Mais cette ressource ne vous manque-t-elle jamais à vous-même ? N’éprouvez-vous jamais au sein du repos, & quelquefois du travail, ces momens de dégoût & d’ennui qui rendent nécessaires les délassemens ou distractions ? La société seroit d’ailleurs trop malheureuse, si tous ceux qui peuvent se suffire ainsi que vous, s’en bannissoient par un exil volontaire. Le sage en fuyant les hommes, c’est-à-dire, en évitant de s’y livrer, (car c’est la seule maniere dont il doit les fuir), leur est au moins redevable de ses instructions & de son exemple ; c’est au milieu de ses semblables que l’Etre supreme lui a marqué son séjour, & il n’est pas plus permis aux Philosophes qu’aux Rois d’être hors de chez eux.