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poison des autres, les foule aux pieds sans distinction, ou les cueille sans choix. Un homme éclairé par les Sciences, distingue dans le grand nombre d’objets qui s’offrent à ses connoissances, ceux qui méritent son aversion, ou ses recherches : il trouvé dans la difformité du vice & dans le trouble qui le fuit, dans les charmes de la vertu & dans la paix qui l’accompagne, de quoi fixer son estime & son goût pour l’une, son horreur & ses mépris pour l’autre ; il est sage par choix, il est solidement vertueux.

Mais, dit-on, il y a des pays, où sans science, sans étude, sans connoître en détail les principes de la morale, on la pratique mieux que dans d’autres où elle est plus connue, plus louée, plus hautement enseignée. Sans examiner ici, à la rigueur, ces paralleles qu’on fait si souvent de nos mœurs avec celles des anciens ou des étrangers, paralleles odieux, où il entre moins de zele & d’équité, que d’envie contre ses compatriotes & d’humeur contre ses contemporains ; n’est-ce point au climat, au tempérament, au manique d’occasion, au défaut d’objet, à l’économie du gouvernement, aux coutumes, aux loix, à toute autre cause qu’aux sciences, qu’on doit attribuer cette différence qu’on remarque quelquefois dans les mœurs, en différens pays & en différens tems ? Rappeller sans cessé cette simplicité primitive dont on fait tant d’éloges, se la représenter toujours comme la compagne inséparable de l’innocence, n’est-ce poing tracer un portrait en idée pour se faire illusion ? Où vit-on jamais des hommes sans défauts, sans desirs, sans passions. Ne portons-nous pas en nous-mêmes le germe de tous les vice ?