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LETTRE AU MÊME.

Motiers le 26 Mai 1765.

La crise orageuse que je viens d’essuyer, Monsieur, & l’incertitude du parti qu’elle me feroit prendre, m’ont fait différer de vous répondre & de vous remercier jusqu’à ce que je fusse déterminé. Je le suis maintenant par une suite d’événemens qui, m’offrant en ce pays sinon la tranquillité du moins la sureté, me font prendre le parti d’y rester sous la protection déclarée & confirmée du Roi & du Gouvernement. Ce n’est pas que j’aye perdu le plus vrai desir de vivre dans le vôtre ; mais l’épuisement total de mes forces, les soins qu’il faudroit prendre, les fatigues qu’il faudroit essuyer, d’autres obstacles encore qui naissent de ma situation, me sont du moins pour le moment abandonner mon entreprise, à laquelle, malgré ces difficultés, mon cœur ne peut se résoudre à renoncer tout-à-fait encore. Mais, mon cher Monsieur, je vieillis, je dépéris, les forces me quittent, le desir s’irrite & l’espoir s’éteint. Quoi qu’il en soit, recevez & faites agréer à M. Paoli mes plus vifs, mes plus tendres remerciemens de l’asyle qu’il a bien voulu m’accorder. Peuple brave & hospitalier !... Non, je n’oublierai jamais un moment de ma vie que vos cœurs, vos bras, vos foyers m’ont été ouverts à l’instant qu’il ne me restoit presqu’aucun autre asyle en Europe. Si je n’ai point le bonheur de laisser mes cendres dans votre Isle, je tâcherai