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LETTRE À M. D. R.

Motiers, Mars 1763.

Je ne trouve pas, très-bon Papa, que vous ayez interprété ni bénignement, ni raisonnablement la raison de décence & de modestie qui m’empêcha de vous offrir mon portrait & qui m’empêchera toujours de l’offrir à personne. Cette raison n’est point comme vous le prétendez un cérémonial, mais une convenance tirée de la nature des choses, & qui ne permet à nul homme discret de porter ni sa figure, ni sa personne, où elles ne sont pas invitées, comme s’il étoit sûr de faire en cela un cadeau. Au lieu que c’en doit être un pour lui, quand on lui témoigne là-dessus quelque empressement. Voilà le sentiment que je vous ai manifesté, & au lieu duquel vous me prêtez l’intention de ne vouloir accorder un tel présent qu’aux prieres. C’est me supposer un motif de fatuité où j’en mettois un de modestie. Cela ne me paroît pas dans l’ordre ordinaire de votre bon esprit.

Vous m’alléguez que les Rois & les Princes donnent leurs portraits. Sans doute, ils les donnent à leurs inférieurs comme un honneur ou une récompense ; & c’est précisément pour cela : qu’il est impertinent à de petits particuliers de croire honorer leurs égaux comme les Rois honorent leurs inférieurs. Plusieurs Rois donnent aussi leur main à baiser en signe de faveur & de distinction. Dois-je vouloir faire à mes amis la même grace ?