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LETTRE À M. ROMILLY.

On ne sauroit aimer les peres sans aimer des enfans qui leur sont chers ; ainsi, Monsieur, je vous aimois sans vous connoître, & vous croyez bien que ce que je reçois de vous n’est pas propre relâcher cet attachement. J’ai lu votre Ode, j’y ai trouvé de l’énergie, des images nobles, & quelquefois des vers heureux ; mais votre poésie paroît gênée, elle sent la lampe, & n’a pas acquis la correction. Vos rimes, quelquefois riches, sont rarement élégantes, & le mot propre ne vous vient pas toujours. Mon cher Romilly, quand je paye les complimens par des vérités, je rends mieux que ce qu’on me donne.

Je vous crois du talent, & je ne doute pas que vous ne vous fassiez honneur dans la carriere où vous entrez. J’aimerois pourtant mieux, pour votre bonheur, que vous eussiez suivi la profession de votre digne pere ; sur-tout si vous aviez pu vous y distinguer comme lui. Un travail modéré, une vie égale & simple, la paix de l’ame & la santé du corps qui sont le fruit de tout cela, valent mieux pour vivre heureux, que le savoir & la gloire. Du moins en cultivant les talens des gens de Lettres, n’en prenez pas les préjugés ; n’estimez votre état que ce qu’il vaut, & vous en vaudrez davantage.

Je vous dirai que ie n’aime pas la fin de votre lettre ; vous me paroissez juger trop sévérement les, riches. Vous ne songez