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FRAGMENT D’UNE LETTRE À M. DIDEROT.

Vous vous plaignez beaucoup des maux que je vous ai faits. Quels sont-ils donc, enfin, ces maux ? Seroit-ce de ne, pas endurer assez patiemment ceux que vous aimez à me faire, de ne pas me laisser tyranniser à votre gré, de murmurer quand vous affectez de me manquer de parole, & de ne jamais venir lorsque vous l’avez promis ? Si’jamais je vous ai fait d’autres maux, articulez -les. Moi, faire du mal à mon ami ! Tout cruel, tout méchant, tout féroce que je suis, je mourrois de douleur si je croyois jamais en avoir fait à mon cruel ennemi, autant que vous m’en faites depuis six semaines.

Vous me parlez de vos services ; je ne les avois point oubliés : mais ne vous y trompez pas. Beaucoup de gens m’en ont rendu qui n’étoient point mes amis. Un honnête homme qui ne sent rien rend service & croit être ami ; il se trompe ; il n’est qu’honnête homme. Tout votre empressement ; tout votre zele pour me procurer des choses dont je n’ai que faire me touchent peu. Je ne veux que de l’amitié, & c’est la seule chose qu’on me refuse. Ingrat, je ne t’ai point rendu de service, mais je t’ai aimé, & tu ne me payeras de ta vie ce que j’ai senti pour toi durant trois mois. Montre cet article à ta femme plus équitable que toi, & demande-lui si,