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lumieres, n’éprouve que les passions de cette derniere espece ; ses désirs ne passent pas ses besoins physiques (note11) ; les seuls biens qu’il connoisse dans l’univers, sont la nourriture, une femelle & le repos ; les seuls maux qu’il craigne sont la douleur & la faim. Je dis la douleur, & non la mort ; car jamais l’animal ne saura ce que c’est que mourir ; & la connoissance de la mort & de ses terreurs, est une des premieres acquisitions que l’homme ait faites en s’éloignant de la condition animale.

Il me seroit aisé, si cela m’étoit nécessaire, d’appuyer ce sentiment par les faits, & de faire voir que chez toutes les nations du monde les progrès de l’esprit se sont précisément proportionnés aux besoins que les peuples avoient reçus de la nature, ou auxquels les circonstances les avoient assujettis, & par conséquent aux passions qui les portoient à pourvoir à ces besoins. Je montrerois Egypte les arts naissans & s’étendant avec le débordement du Nil ; je suivrois leur progrès chez les Grecs, où l’on les vit germer, croître & s’élever jusqu’aux cieux parmi les sables & les rochers de l’Attique, sans pouvoir prendre racine sur les bords fertiles de l’Eurotas ; je remarquerois qu’en général les peuples du nord sont plus industrieux que ceux du midi, parce qu’ils peuvent moins se passer de l’être, comme si la nature vouloit ainsi égaliser les choses, en donnant aux esprits la fertilité qu’elle refuse à la terre.

Mais, sans recourir aux témoignages incertains de l’histoire, qui ne voit que tout semble éloigner de l’homme sauvage la tentation & les moyens de cesser de l’être ? Son imagination