Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/304

Cette page n’a pas encore été corrigée

augmente au loin comme celle des léviers [1]. Celle du peuple au contraire n’agit que concentrée, elle s’évapore & se perd en s’étendant, comme l’effet de la poudre éparse à terre & qui ne prend feu que grain à grain. Les pays les moins peuplés sont ainsi les plus propres à la Tirannie : les bêtes féroces ne regnent que dans les déserts.


CHAPITRE IX.

Des signes d’un bon Gouvernement.


Quand donc on demande absolument quel est le meilleur Gouvernement, on fait une question insoluble comme indéterminée ; ou si l’on veut, elle a autant de bonnes solutions qu’il y a de combinaisons possibles dans les positions absolues & rélatives des peuples.

Mais si l’on demandoit à quel signe on peut connoitre qu’un peuple donné est bien ou mal gouverné, ce seroit autre chose, & la question de fait pourroit se résoudre.

Cependant on ne la résout point, parce que chacun veut la résoudre à sa maniere. Les sujets vantent la tranquillité publique, les Citoyens la liberté des particuliers ; l’un préfere la

  1. (y) Ceci ne contredit pas ce que j’ai dit ci-devant L. II, Chap. IX. Sur les inconvéniens des grands États : car il s’agissoit-là de l’autorité du Gouvernement sur ses membres, & il s’agit ici de sa force contre les sujets. Ses membres épars lui servent de point d’appui pour agir au loin sur le peuple, mais il n’a nul point d’appui pour agir directement sur ses membres-mêmes. Ainsi dans l’un des cas la longueur du lévier en fait la foiblesse, & la force dans l’autre cas.