Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/110

Cette page n’a pas encore été corrigée

Ces premiers progrès mirent enfin l’homme à portée d’en faire de plus rapides. Plus l’esprits’éclairoit, & plus l’industrie se perfectionna. Bientôt cessant de s’endormir sous le premier arbre, ou de se retirer dans des cavernes, on trouva quelques sortes de haches de pierres dures & tranchantes qui servirent à couper du bois, creuser la terre, & faire des huttes de branchages, qu’on s’avisa ensuite d’enduire d’argile & de boue. Ce fut-là l’époque d’une premiere révolution qui forma l’établissement & la distinction des familles, & qui introduisit une sorte de propriété ; d’où peut-être naquirent déjà bien des querelles & des combats. Cependant comme les plus forts furent vraisemblablement les premiers à se faire des logemens qu’ils se sentoient capables de défendre, il est à croire que les foibles trouverent plus court & plus sûr de les imiter que de tenter de les déloger ; & quant à ceux qui avoient déjà des cabanes, chacun dut peu chercher à s’approprier celle de son voisin, moins parce qu’elle ne lui appartenoit pas, que parce qu’elle lui étoit inutile, & qu’il ne pouvoit s’en emparer sans s’exposer à un combat tres-vif avec la famille qui l’occupoit.

Les premiers développemens du cœur furent l’effet d’une situation nouvelle qui réunissoit dans une habitation commune, les maris & les femmes, les peres & les enfans : l’habitude de vivre ensemble fit naître les plus doux sentimens qui soient connus des hommes, l’amour conjugal & l’amour paternel. Chaque famille devint une petite société d’autant mieux unie, que l’attachement réciproque & la liberté en étoient les seuls liens ; & ce fut alors que s’établit la premiere différence dans la maniere de vivre des deux sexes, qui jusqu’ici n’en avoient