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Au grand nord, dans le canton de la Minerve, au milieu de la forêt, s’élevait la ferme des Robin.

Les Robin étaient la suite d’une vieille famille normande, dont un des plus vivaces rameaux avait pris au pays depuis près de 200 ans.

C’étaient de bien braves gens, les Robin, mais un peu rustres, mais un peu sauvages. Ils s’étaient modelés sur la grande et fière nature au milieu de laquelle ils vivaient. Accoutumés à la lutte et à la souffrance, ils ne s’attendrissaient pas exagérément sur les douleurs d’autrui, songeant qu’il appartenait à chacun de se défendre, d’utiliser pour sa préservation les précieux moyens de résistance que la Providence a prodigués à chacun de nous et qui sont : l’énergie, le courage, l’initiative, et un confiant abandon en la volonté divine. Aussi passaient-ils pour des farouches alors qu’ils n’étaient que des résignés.

Ils étaient poètes aussi ; et cette qualité qui améliore les civilisés, les éloignait davantage du monde, eux, les primitifs.

Comme ils la trouvaient belle, leur forêt ! L’été, lorsqu’elle déployait son faste royal et révélait toute son âme ténébreuse dans la paix profonde des calmes nuits ! Pas un frémissement, pas un frisson des branches n’annonçait une vie apparente : elle paraissait immobile dans sa beauté séculaire, morte avant d’être couchée sur le sol. Et pourtant les vieux arbres, mêlant leurs vertes chevelures, demeuraient droits et forts, ayant cette vie muette des choses qui gardent l’énigme de leur joie ou de leur tristesse. Et ce silence des bois recueillis, effrayant pour tous, était, pour les Robin, plein d’une incomparable majesté.