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À ce moment, le chemin qui borde la forêt était péniblement arpenté par le mendiant de la nuit. Il s’en allait vers les lacs, souffrant des morsures de Rateau, triste, affamé, moulu, appuyé sur son bâton, ayant dans les yeux un regard qui révélait une douleur immense.

En passant, il entendit la plainte basse, continue et douloureuse du chien mourant. Il s’approcha et vit ce corps convulsionné qui implorait la vie.

Il leva son bâton pour assommer la bête cruelle.

Mais comme son âme vagabonde avait étrangement souffert parmi les hasards de ses courses, il se contenta de s’agenouiller près du chien et regarda ses blessures.

Après avoir contemplé la bête agonisante, il alla à un petit ravin, défonça la glace du ruisseau à coups de bâton, puisa de l’eau dans son casque pelé, et revint au chien à qui il donna à boire et dont il lava les plaies sanglantes avec l’attention d’une infirmière et la bonté d’une mère.

— Mon pauvre vieux, disait-il tout en travaillant, tu m’as fait bien des misères cette nuit : tu m’as privé d’une couche moelleuse et chaude dont j’avais grand besoin ; tu m’as arraché une bande de chair à la jambe droite, une autre au bras gauche : tu as meurtri mes doigts et mis ma toilette en désarroi. Mais je ne t’en veux pas : tu faisais ton devoir d’honnête chien. D’ailleurs, tu es plus misérable que moi, à cette heure. Nous sommes confrères en malheur. Ah ! mon pauvre vieux, va ! si on se connaissait, ici-bas, on ne se ferait jamais de mal, dans ce triste monde où l’on se tue pour vivre.

Rateau leva la tête. Un éclair de reconnaissante tendresse éclatait dans ses yeux obscurcis. L’homme le prit par le cou, colla un baiser prolongé sur son museau humide, et le chien lui zébra la face d’un large coup de langue qui ramassa les deux larmes prêtes à tomber des yeux du pauvre bougre.