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prême : la collaboration du public. Ce n’est pas qu’elle fût un de ces chefs-d’œuvre insatiables qui, comme Hamlet, s’annexent peu à peu tous les rêves des hommes. Mais elle conquit d’un coup tous les cœurs. Vous savez ce qui en rendit l’événement plus religieux. Il sembla, ce soir-là, qu’un premier crêpe s’envolait : ce fut une représentation de sortie de deuil. M. de Bornier, par une magnifique délicatesse, s’appliquant à déduire de sa gloire tout ce qui pouvait venir de la circonstance, tenait à préciser que la Fille de Roland était écrite avant la guerre. Il résistait à l’enthousiasme qui voulait que l’œuvre eût jailli de la douleur ; et se débattant avec une modestie désespérée aux bras de ceux qui l’entraînaient vers le pavois de poète national, le brave homme exagérait, par conscience, la fausseté d’une légende… qu’il méritait davantage à chaque mot qu’il ajoutait ! Les acclamations couvrirent sa voix. La Légende triompha. Ce fut justice. Car, cette fois encore, elle n’était qu’une façon de simplifier la vérité. En effet, la pièce, cloche d’argent elle-même, avait bien été fondue en 1868 ; le son, né tout entier des mystères de l’alliage et des proportions des diamètres, vivait bien, déjà captif dans les flancs de la cloche, avant 1870 ; mais c’est après 1870 qu’en un soir de fièvre M. de Bornier forgea le battant : cette Chanson des Épées, qui, si heureusement accrochée au milieu du drame, en fit chanter tout le métal ! De sorte que s’il y eut dans le son une largeur et une sérénité qui pouvaient être de tous les temps, il y eut dans la percussion quelque chose de précipité et de douloureux qui venait de l’heure. Et l’atmosphère fit le reste ! Ce qu’était l’atmosphère d’alors, je devrais ici le dire. Je ne le dirai pas.