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LE LAQUAIS.

… Que pour nous battre, — et de nous battre un contre quatre,
Que pour marcher, — et de marcher que pour nous battre,
Marchant et nous battant, maigres, nus, noirs et gais…
Nous, nous ne l’étions pas, peut-être, fatigués ?

MARMONT, interdit.

Mais…

LE LAQUAIS.

Mais…Et sans lui devoir, comme vous, des chandelles,
C’est nous qui cependant lui restâmes fidèles !
Aux portières du roi votre cheval dansait !…
(Au duc.)
De sorte, Monseigneur, qu’à la cantine où c’est
Avec l’âme qu’on mange et de gloire qu’on dîne…
Sa graine d’épinard ne vaut pas ma sardine !

MARMONT.

Quel est donc ce laquais qui s’exprime en grognard ?

LE LAQUAIS, prenant la position militaire.

Jean-Pierre-Séraphin Flambeau, dit « le Flambard ».
Ex-sergent grenadier vélite de la garde.
Né de papa breton et de maman picarde.
S’engage à quatorze ans, l’an VI, deux germinal.
Baptême à Marengo. Galons de caporal
Le quinze fructidor an XII. Bas de soie
Et canne de sergent trempés de pleurs de joie
Le quatorze juillet mil huit cent neuf, — ici,
— Car la garde habita Schœnbrunn et Sans-Souci ! —
Au service de Sa Majesté Très Française
Total des ans passés : seize ; campagnes : seize.
Batailles : Austerlitz, Eylau, Somo-Sierra,
Eckmühl, Essling, Wagram, Smolensk… et cætera !
Faits d’armes : trente-deux. Blessures : quelques-unes.
Ne s’est battu que pour la gloire, et pour des prunes.

MARMONT, au duc.

Vous n’allez pas ainsi l’écouter jusqu’au bout ?

LE DUC.

Oui, vous avez raison, pas ainsi, — mais debout !
(Il se lève.)