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METTERNICH, regardant avec son lorgnon.

Alors, toute l’armée est française, aujourd’hui ?
D’où vient qu’on ne voit pas d’Autrichiens ?

LE DUC.

D’où vient qu’on ne voit pas d’Autrichiens ?Ils ont fui.

METTERNICH.

Tiens ! tiens !
(Il prend un des petits soldats, le retourne.)
Tiens ! tiens !Qui vous les a peinturlurés ?

LE DUC, sèchement.

Tiens ! tiens ! Qui vous les a peinturlurés ?Personne.

METTERNICH.

C’est vous ?… Vous abîmez les joujoux qu’on vous donne ?

LE DUC, pâlissant.

Mais, Monsieur !…
(Metternich sonne. Un laquais paraît. C’est le même que tout à l’heure.)

METTERNICH.

Mais, Monsieur !…Emportez et jetez ces soldats !
On en rapportera de neufs.

LE DUC.

On en rapportera de neufs.Je n’en veux pas !
Si j’en suis au joujou, du moins qu’il soit épique !

METTERNICH.

Quelle mouche, ou plutôt quelle abeille, vous pique ?

LE DUC, marchant sur lui les poings crispés.

Sachez que l’ironie étant peu de mon gré…

LE LAQUAIS, qui emporte les soldats, en passant derrière le duc, bas et vite.

Taisez-vous, Monseigneur, je vous les repeindrai.

METTERNICH, qui remontait, se retourne à la menace du duc, et avec hauteur.

Plaît-il ?

LE DUC, calmé subitement, avec une humilité forcée :

Plaît-il ?Rien. — Un moment d’humeur involontaire.
Pardonnez-moi…
Pardonnez-moi…(À part.)
Pardonnez-moi…J’ai quelqu’un là. Je peux me taire !