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(Soupirant.)
Pareil au prisonnier rêveur qui se ferait
Toute une frémissante et profonde forêt
Avec l’arbre en copeaux d’un jardin de poupée,
Rien qu’avec ces soldats, je me fais l’Épopée !
(Il s’éloigne à reculons de la table.)
— Mais c’est vrai ! Mais déjà je ne vois plus du tout
La rondelle de bois qui les maintient debout !
Cette armée, on dirait, Prokesch, lorsqu’on recule,
Que c’est l’éloignement qui la rend minuscule !…
(Il revient, d’un bond, et disposant fiévreusement les petites troupes.)
Alignons-les ! Faisons des Wagram, des Eylau !

(Il saisit un sabre posé, parmi les armes, sur la console, — et le place en travers de son champ de bataille.)

Tiens ! ce yatagan nu va représenter l’eau !
C’est le Danube !…
C’est le Danube !…(Il désigne des points imaginaires.)
C’est le Danube !…Essling !… Aspern, là dans la boîte !
(À Prokesch.)
Lance un pont de papier sur l’acier qui miroite !
— Passe-moi deux ou trois grenadiers à cheval !
— Il faut une hauteur : prends le Mémorial !
— Là, Saint-Cyr !… Molitor, vainqueur de Bellegarde !
Et là, passant le pont…

(Depuis un instant Metternich est entré et, debout, derrière le duc qui, dans le feu de l’action, s’est agenouillé devant la table pour mieux arranger les soldats, — il suit les manœuvres.)



Scène VII

Les Mêmes, METTERNICH, puis UN LAQUAIS.
METTERNICH, tranquillement.

Et là, passant le pont…Passant le pont ?

LE DUC, tressaille, et se retournant.

Et là, passant le pont…Passant le pont ?La garde !