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PROKESCH.

Le parc est trop petit !Vous avez tout le val !

LE DUC.

Le val est trop petit pour que l’on y galope !

PROKESCH, redescendant.

Et que vous faut-il donc pour galoper ?

LE DUC.

Et que vous faut-il donc pour galoper ?L’Europe !

PROKESCH, voulant le calmer.

Chut !

LE DUC.

Chut !Et quand je relève un front éclaboussé
De gloire par mon livre, et lorsque du passé
Je ressors ébloui, quand je ferme Plutarque,
Quand je saute, ô César, en pleurant, de ta barque,
Quand je quitte mon père, Alexandre, Annibal…

UN LAQUAIS, paraissant à une porte de fauche.

Quel habit Monseigneur mettra-t-il pour le bal ?

LE DUC, à Prokesch.

Voilà !
Voilà !(Au laquais, violemment.)
Voilà !Je ne sors pas !
Voilà !Je ne sors pas !(Le laquais disparaît.)

PROKESCH, qui feuillette des livres, sur la table.

Voilà !Je ne sors pas !On vous laisse tout lire ?…

LE DUC.

Tout !… Il est loin le temps où Fanny, pour m’instruire,
Apprenait des récits par cœur ! — Plus tard j’obtins
Que quelqu’un me passât des livres clandestins.

PROKESCH, souriant.

La bonne archiduchesse ?

LE DUC.

La bonne archiduchesse ?Oui, chaque jour, un livre.
Dans ma chambre, le soir, je lisais ; j’étais ivre.
Et puis, quand j’avais lu, pour cacher le délit,
Je lançais le volume en haut du ciel-de-lit !
Les livres s’entassaient dans ce creux d’ombre noire,
Si bien que je dormais sous un dôme d’Histoire.