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LE PAYSAN, apercevant un groupe, étend machinalement sa main vers l’horizon, et commence, d’une voix de guide.

Explique la bataille aux étrangers.À gauche…

FLAMBEAU, s’avançant.

Non ; moi, je la connais !

(Le paysan, le reconnaissant, sourit et salue. Flambeau allume son petit brûle-gueule français à la longue pipe allemande du vieux.)
PROKESCH, à Flambeau.

Non ; moi, je la connais !Qu’est-ce qui le débauche
Du service autrichien ?

LE PAYSAN, qui a entendu.

Du service autrichien ?Monsieur, j’étais mourant
Je me traînais par là. Napoléon, le Grand
Vint à passer…

FLAMBEAU.

Vint à passer…Toujours il parcourait la plaine
Le lendemain.

LE PAYSAN.

Le lendemain.Le grand Empereur prit la peine
D’arrêter son cheval, et devant lui, — devant… —
Il me fit amputer par son docteur…

FLAMBEAU.

Il me fit amputer par son docteur…Yvan.

LE PAYSAN.

Donc, si son fils s’ennuie à Vienne, — qu’il émigre !
Moi, je l’aide !…
Moi, je l’aide !…(À Flambeau, fièrement, en tapant sur sa manche vide.)
Moi, je l’aide !…Le bras — coupé — devant lui !

FLAMBEAU.

Moi, je l’aide !…Le bras — coupé — devant lui !Bigre !
On n’a pas tous les jours la satisfaction
D’avoir le bras coupé devant Napoléon !

LE PAYSAN, avec un geste résigné.

La guerre !…

(Les deux vétérans se sont assis sur le petit banc qui tient à la cabane, et côte à côte, ils fument, laissant de temps en temps échapper rêveusement un mot.)

La guerre !…On se battait !…