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ACTE IV

LES AILES MEURTRIES


Le rideau s’ouvre, au murmure des violons et des flûtes, sur une fête dans les Ruines Romaines du parc de Schœnbrunn.

Ces ruines sont, naturellement, aussi fausses que possible ; mais construites par un agréable archéologue, adossées le plus heureusement du monde à une colline boisée, vêtue de mousses abondantes, caressées d’admirables feuillages, elles sont belles dans la nuit, qui les agrandit et les poétise.

Au fond, au milieu de pittoresques décombres, une large et très haute porte romaine s’arrondit, et laisse voir, en perspective, sous son arc ébréché, une avenue de gazon qui s’élève, comme un chemin de velours, jusqu’à un lointain carrefour bleuâtre, où semble l’arrêter un geste blanc de statue.

Devant cette porte s’allonge un petit vivier d’eau dormante, et des divinités de pierre se cachent dans des roseaux.

Et ce sont des colonnades à demi écroulées à travers lesquelles on voit passer des masques ; des escaliers que montent et descendent tous les personnages de la Comédie Italienne. Car la fête est costumée, la mode étant aux redoutes, aux dominos, aux capes vénitiennes, aux étranges chapeaux chargés de plumes, aux grandes collerettes, aux loups noirs barbus de dentelle, sous lesquels on aime à s’intriguer.

Deux gros orangers taillés en boules ; contre une de leurs caisses, un banc rustique.

Un peu partout, des fragments de bas-reliefs, des fûts de colonne enthyrsés de lierre, des têtes gisantes, de marbres décapités.

Les lampions sont rares et d’un vert discret de ver luisant ; on n’a pas abîmé le clair de lune.

La partie du parc réservée à la fête a été close par du treillage, et on aperçoit, à droite, la sortie, où des valets de pied remettent aux gens qui partent leurs manteaux.

À gauche, au tout premier plan, une porte de branches enguirlandées est celle d’un petit théâtre. C’est de ce côté, vers le fond, que s’étend la fête ; c’est par là qu’on danse, il arrive de la coulisse une lumière plus vive et des bouffées de musique.

L’orchestre invisible joue des valses de Schubert, de Lanner, de Strauss, — et les joue à la Viennoise, avec la plus énervante grâce.