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LE DUC, comprenant tout.

Me prend pour professeur d’escrime…Ah !…

FLAMBEAU.

Me prend pour professeur d’escrime…Ah !…En Toscane !
On conspire, en faisant du sabre et de la canne.
Un poste dangereux était à prendre ici,
On me donne de faux papiers, et me voici.
(Il se frotte les mains, rit silencieusement, et, clignant de l’œil :)
Je suis là. Mais je vois, chaque jour, la comtesse.
J’ai trouvé, dans le parc, ce trou que votre Altesse
Creusa jadis avec son précepteur Colin
Pour jouer au petit Robinson ; — moi, malin,
Je m’y cache ; c’est un couloir à deux sorties,
L’une dans des fourmis, l’autre dans des orties ;
J’attends ; votre cousine, un album dans les mains,
Vient en touriste ; et là, près des machins romains,
Elle sur un pliant, et moi dans de la glaise,
Elle ayant l’air de dessiner comme une Anglaise,
Et moi parlant du fond d’un trou comme un souffleur, —
Nous causons des moyens de vous faire empereur.

LE DUC, après un léger silence d’émotion.

Et pour un dévouement d’une suite pareille,
Que me demandes-tu ?

FLAMBEAU.

Que me demandes-tu ? De me tirer l’oreille.

LE DUC.

De ?…

FLAMBEAU, gaiement.

De ?…Que peut demander un ex-grognard ?

LE DUC, un peu troublé par sa familiarité soldatesque.

De ?…Que peut demander un ex-grognard ? Un ex ?…

FLAMBEAU.

J’attends !… Mais allez donc !… Oui… le pouce… et l’index…

(Le Duc lui tire l’oreille, maladroitement, d’un geste, malgré lui, hautain.
Flambeau fait la moue.)

Ah ! ce n’est pas ainsi, Monseigneur, qu’on la pince !
Vous, vous ne savez pas ; vous, — vous êtes trop prince !