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Seuls, Targ, Arva et Érê n’acceptaient point le sort ; mais Manô se décourageait. Non qu’il fût devenu prévoyant. Pas plus que jadis, il ne songeait aux lendemains ; mais la fatalité lui était devenue présente. Lorsque les euthanasies commencèrent, il eut un sens si aigu de la disparition que toute énergie l’abandonna. L’ombre et la lumière lui furent également ennemies. Il vécut dans une attente funèbre et molle ; son amour pour Arva avait disparu comme son amour pour sa propre personne ; il ne prenait aucun intérêt à ses enfants, assuré que l’euthanasie les enlèverait bientôt. Et la parole lui devenant odieuse, il n’écoutait plus, il demeurait taciturne et torpide pendant des journées entières. Presque tous les habitants des Terres-Rouges menaient une existence analogue.

Aucun effort ne stimulait leur pitoyable énergie, car le travail devenait presque nul. Hors quelques massifs de plantes, entretenus pour garder des semences fraîches, toute culture avait disparu. L’eau des réservoirs n’exigeait aucun soin : elle était à l’abri de l’évaporation et purifiée par des appareils presque parfaits. Quant aux réservoirs mêmes, il suffisait, chaque jour, de leur faire subir une inspection que facilitaient des indicateurs automatiques. Ainsi, rien ne venait secouer l’atonie des Derniers Hommes. Ceux qui échappaient le mieux au marasme étaient les individus les moins émotifs, qui n’avaient aimé personne