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L’AVARE

— C’est différent… Il ne reste qu’à consulter ma fille !

— Hein ! faisait Darraz, tandis que nous remontions vers le château Philippe-Auguste. J’ai fini par réussir… Je vous ai rendu service sans dépenser un sou !…

Il se frottait les mains, il riait comme un couteau contre la meule du rémouleur. Puis, une ombre parut sur son visage ; il garda le silence pendant une bonne minute ; enfin il murmura :

— C’est égal !… Ça n’est pas juste…, il ne faut pas faire des choses pareilles pour rien. Ça porterait malheur ! Écoutez, mon petit…, il faut que vous me donniez quelque chose… Tenez, vous me donnerez votre étang des Armoises.

Je lui donnai mon étang des Armoises.

Plus tard, lorsqu’il fut allé rejoindre ses ancêtres au cimetière de Cissey-les-Rouvres, que de fois nous avons rêvé, Claire et moi, au bord de cet étang qui nous est revenu avec les millions du bonhomme ! Par les grands crépuscules de juin, quand les nuages de feu nous enseignent la beauté et la brièveté des choses, nous regardons, attendris, cette eau qu’argentent, que cuivrent, que diamantent les lueurs célestes, et nous songeons avec une indulgence et une gratitude profondes aux Avares et à l’Avarice.