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LA JEUNE SALTIMBANQUE

bien du maître !… Et faut déguerpir, vu que c’est pas une auberge…

La voix basse insistait. Pris d’une de ces curiosités sans cause, comme nous en avons tous, j’ouvris ma porte et je jetai un regard furtif dans le couloir. Trois chétives silhouettes se tenaient au bout du perron devant la Florence moustachue, taillée en cent-gardes. C’étaient une adolescente et deux fillettes. Des oripeaux vétustes couvraient leurs ossatures ; le vent, le soleil et la pluie avaient recuit leurs peaux ; elles avaient cet air fauve et cet œil au guet des êtres qui vagabondent au sein d’une société conformiste, où chaque créature porte en quelque sorte son numéro matricule. L’adolescente montrait des joues aplanies, une terrible chevelure de poix et des yeux bleu-Léman, immenses et encore agrandis par la misère. Au demeurant, ni laide ni jolie, avec des particularités plutôt séduisantes :

— Ma petite sœur ne peut plus marcher ! gémissait-elle. Non, elle ne peut plus… Elle a les pieds en sang.

C’était vrai ; on voyait du rouge aux crevasses de la chaussure.

— Eh bien, m’écriai-je… qu’elle se repose !

Et m’adressant à la rude Florence :

— Tu donneras de la viande froide ; du pain, des fruits… et du vin.

Florence, pour peu que sa responsabilité fût couverte, n’était pas inhospitalière :