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CONTES. — DEUXIÈME SÉRiE

sept mois sur douze, dans une solitude ravissante. Ma vie était à la fois modeste et très large. Modeste pour ce qui regarde les luxes de pure parade ; large en ce qui concerne les conforts profonds : deux forts chevaux à l’écurie, qui servaient indifféremment à la selle et à l’attelage, un coupé moelleux, un landau bien rembourré, une admirable cuisinière, un valet de chambre actif, silencieux et adroit, un excellent valet d’écurie et un jardinier qui me fournissait de fruits et de légumes merveilleux. Est-ce que les milliards peuvent, au fond, donner davantage à une créature périssable ?

Un dimanche après midi, je lisais Pantagruel, devant une belle flambée de pin, car on approchait d’octobre et le vent du Nord soufflait moult aigrement. J’étais seul, ou à peu près. Sauf la cuisinière, mes domestiques assistaient à une fête votive, dans un canton prochain : ils ne devaient revenir que le soir. Je venais de déposer Pantagruel et j’allumais une bouffarde, lorsque j’entendis palabrer dans le vestibule. L’accent rude de Florence, la cuisinière, alternait avec une voix basse et timide :

— Y a une croûte de pain et un verre d’eau ! criait Florence. J’ai pas le droit de disposer du