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LA BOUCHERIE DES LIONS

vie qui palpitait derrière la fente, si féroce que fût cette vie. D’abord, l’obscurité régna, car j’avais éteint ma lanterne pour ne pas gaspiller l’essence. Bientôt, une lumière rasa obliquement le repaire des fauves. Cette lumière s’accrut ; je vis distinctement la lune, faiblement écornée, en face de la haute caverne. Presque en même temps, la lionne se dressa et gronda longuement. Une silhouette massive apparut, un colossal seigneur à la grosse tête, qui traînait une proie. Ainsi posée devant l’astre, magnifiquement sculptée par les rayons, la bête évoquait la force triomphante, la force implacable et superbe des anciens âges. Mais cette évocation me laissait insensible. Ce n’était pas le grand lion qui me faisait battre le cœur : c’était sa proie. Je la guettais avec frénésie… Quand le félin s’avança vers sa femelle, quand il déposa le bouquetin égorgé près des lionceaux, je fus saisi d’une telle émotion que, d’abord, il me fut impossible de faire un geste… Ma respiration était arrêtée, un brouillard flottait devant mes prunelles… Tout à coup, l’instinct m’envahit. Il m’envahit tout entier, il éteignit l’intelligence comme l’ouragan éteint une torche… J’avançai mon piolet dans la caverne des lions et je le rabattis avec une précision farouche. La pointe acérée s’enfonça dans la carcasse et, avant que le lion et la bonne fussent revenus de leur surprise, j’attirais la proie, je la faisais passer de leur caverne dans la mienne…